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 EDITORIAL POLITIQUE

 
QUE RESTE-T-IL DE MAI 1968 ?

  PREMIERE PARTIE 

 La réalité politique des évènements de mai-juin 1968 a été réduite à une légende libertaire  (…)    Ainsi , la grève générale , son sens et sa portée ont été plus  qu’estompés par le récit officiel .   En effet, les évènements de 68 furent avant tout  un refus massif de la part de milliers , voire de millions , de personnes  de continuer à concevoir le social  de manière traditionnelle , c’est-à-dire  comme un ensemble de catégories séparées et étroites .  Comment donc sommes-nous arrivés à ce consensus au tour de Mai 68, qui n’est plus perçu que comme une sympathique «  révolte de jeunes « aux accents poétiques , ou comme une mutation de style de vie ?   La réponse se trouve dans les formes narratives adoptées par l’histoire officielle,  qui,  le plus souvent, enserre étroitement l’événement , le réduisant ainsi à sa propre portion congrue .   Par ailleurs, la première de ces stratégies fut la réduction  temporelle qui interprète littéralement l’expression de Mai 68 .  Abrégeant ainsi la chronologie des évènements . En effet, selon cette optique , Mai 68 avait commencé le 3  mai, lorsque les forces de l’ordre, appelées à la  Sorbonne avaient procédé aux premières arrestations d’étudiants , ce qui  déclencha de violents manifestations populaires dans les rues du Quartier latin , au cours des semaines suivantes .  Le chienlit s’est terminé lorsque le Général  Charles De Gaule, brandissant la menace d’une intervention de l’armée , annonça qu’il  ne démissionnera pas de la présidence et dissout l’Assemblée nationale. 

 Mai 68, se limite donc au seul mois de mai-pas même à celui de juin , au cours duquel , pourtant près de neuf  millions de travailleurs ,  de tous horizons géographiques et sociaux confondus, poursuivirent la grève .  « La plus grande grève générale de l’histoire de la France »,  disent certains historiens en mal de repères .   En effet, la genèse  de l’insurrection s’est trouvée reléguée en arrière-plan, dont les ferments peut déjà  se  trouver à la  fin de la guerre d’Algérie , soit au début des années soixante .  

Or, ni la violente répression d’Etat qui mit un terme aux évènements de mai-juin, ni la violence gauchiste qui avait perduré jusqu’au début des années septante, n’étaient jamais évoquées .   Ce ne sont pas moins de quinze à vingt ans de radicalisme politique qui furent ainsi occultées et dont les symptômes étaient déjà  manifeste dans l’émergence  progressive  d’une opposition limitée mais significative à la guerre d’Algérie ainsi que l’adhésion de nombreux Français , dans la foulée énorme secousse des révolutions anticoloniales qui avait mené  à une analyse «  tiers-mondiste «  de la politique globale .  Il était également manifeste dans la récurrence des troubles , vers le milieu des années soixante . 

En effet, parmi les ouvriers des usines françaises , ainsi que dans l’émergence d’une maxime critique antistalinien , exprimé dans plusieurs journaux qui fleuriraient entre  le milieu des années cinquante et celui des années septante .  Par ailleurs, la conjoncture politique en France était en fait dominée par un maxime très dynamique , que ce soit à l’intérieur du mouvement ouvrier ou à l’université .  En effet, par le biais des idées du philosophe Louis Althusser *, dans les petits groupes de maoïstes ou anarchistes ou, encore  à la  recherche , en tant que cadre de pensée dominant en philosophie et en sciences humaines depuis la   deuxième  guerre mondiale .  Tout cela s’était évanouit  pourtant au profit d’un récit dans lequel, Mai 68, jaillissant soudain de nulle part , de manière tout à fait spontanée . Cet oubli est sans doute le prix à payer pour « sauver «  le joli mois de mai au cours duquel est née la « libre expression «  .
 
GUERRE DE VIETNAM , POLITISATION ET LIBERATION SEXUELLE :
 HISTOIRE PLUS BELLE QUE LA LEGENDE !
 

Cette restriction des évènements  au seul mois de mai avait des répercussions importantes .  En effet, le  raccourci temporel  non seulement fonde et renforce la réduction géographique du théâtre d’activité à la seule ville de Paris, et plus spécifiquement le Quartier latin .  Une fois de plus , le rideau tombe sur les travailleurs en grève des faubourgs de la capitale et dans tout le pays.  Les expériences réussies de solidarité entre ouvriers et étudiants et  agriculteurs en province ont été occultées . Selon certaines sources, la province avait connu , pendant les mois de mai et juin, des  manifestations plus soutenues  et plus violentes que Paris avaient eu lieu, cependant les officiels  avaient joué la carte de l’obstruction partielle ou totale, comme à Nantes , Caen , la pleine de Larzac. Pas un mot sur ce qui se passait  dans les usines de Nantes, loin de Paris, ni sur la constellation des pratiques et d’idées sur l’égalité qui ne peuvent s’intégrer après-coup dans le paradigme libéral-libertaire  actuel adopté par nombre d’anciens protagonistes de Mai 68 .   Pour prendre un exemple significatif,  la naissance dans la région de Larzac, d’un nouveau mouvement paysan anti-productiviste au début des années septante .

Mouvement qui devait connaître une vie antérieure dans le radicalisme rural égalitaire de la Confédération paysanne , avec des attaques de Mac Donald’s  et d’Organismes Génétiquement Modifiés (OGM),  n’ont  laissé aucune trace dans le discours officiel  sur  Mai 68.   En effet,  l’histoire officielle , pour dissimuler ses incohérences , ses manquements et sa suffisance, a tenté de réduire tout le mouvement protestataire de Mai 68  à une parade scabreuse de jeunes en mal chahut dans un Quartier latin transformé en une grande tribune protestataire  .   Ce faisant, elle occulte l’unique facteur international dont on puisse affirmer avec certitude  le rôle majeur dans les évènements français , comme le reste des insurrections survenues  en Allemagne, au Japon, aux Etats-Unis , en Italie et ailleurs – à savoir critiquant l’impérialisme américain  et son rôle majeur dans la guerre du Vietnam .   Cette occultation a été compensée par la création d’une autre dimension internationale à travers toute une série de révoltes , souvent informes et mal définies de jeunes, aux quatre coins du monde  au nom de la liberté et d’autonomie personnelle , ce que Serge July avait jadis appelé «  la grande révolution culturelle libérale-libertaire «  .

En effet, après avoir réduit Mai 68 à une quête individualiste et spirituelle , des ex-leaders étudiants  et autres porte-parole  autorisés , ont au moment de son vingtième anniversaire , élargi cette quête à une génération entière ,  à  toute  une classe d’âge à travers le monde  pour qui le mot d’ordre des années huitante , «  liberté «  a définitivement , et de façon anachronique , remplacé ce qui paraît l’aspiration profonde des années soixante , à savoir l’égalité .     Ces réductions opérées par l’histoire officielle ont permis aux étudiants et au monde universitaire d’obtenir  l’exclusivité du rôle de représentant des évènements de Mai 68.  Par ailleurs, les barricades, l’occupation de la Sorbonne et du Théâtre de l’Odéon ainsi que les graffitis poétiques , sont devenus aussi incontournables que les visages mêmes  des trois  ou quatre anciens leaders étudiants que l’on voit vieillir au fil des commémorations diffusées tous les dix ans à la télévision française .   Pourtant, dans les années soixante , la politisation massive de la jeunesse des classes moyennes françaises  s’est développée sur fond de relations polémiques et identifications impossibles avec deux figures totalement absentes du tableau , en l’occurrence l’ouvrier et le militant anticolonialiste .   

Par ailleurs,  le tiers-mondisme français n’était , dans une certaine mesure, rien de plus que la reconnaissance , dès la fin des années cinquante, du fait que les anciens colonisés , grâce aux guerres d’indépendance, formaient, désormais, une nouvelle figure du démos , du peuple au sens politique du terme « les damnés de la terre « .  En effet, par l’universalisation ou la dénonciation d’un occidental , ils éclipsaient toute manifestation de la classe ouvrière européenne .  Le tiers-mondisme du début des années soixante s’est maintenu après la guerre d’Algérie , avant de bénéficier , au milieu de la même décennie , du durcissement et de l’engagement américain au Vietnam .   Selon de nombreux militants, c’est le maoïsme de la gauche française qui avait assuré la transition . Détournant ainsi l’attention jusqu’à lors accordé  au paysan luttant contre la colonisation vers l’ouvrier métropolitain   de  Turin se reconnaissant dans la lutte des ouvriers vietnamiens .  C’est ainsi que l’ouvrier français devint une figure centrale des mouvements sociaux de mai 68 .  Le maoïsme n’en était cependant pas seul responsable .

La France, au cours des soixante, anticapitalisme allait de pair avec anti-impérialisme et leurs discours s’enchevêtraient dans une trame complexe .    En effet, à cette époque, le slogan était «  Tous debout , camarade, pour la Bolivie socialiste !«   Suffisait à mobiliser trois mille trotskistes un soir de la semaine à la Mutualité de Paris .  

LES EX-GAUCHISTES SE DETOURNENT DES LUTTES OUVRIERES POUR LE ANTI-TOTALITAIRE 


L’idée-force de  Mai 68 résidait dans l’union de la contestation intellectuelle et de la lutte des travailleurs .  En d’autres termes ,  la subjectivité politique qui émergera en mai, était un type  rationnel construite autour d’un débat sur l’égalité , une expérience quotidienne d’identifications , d’aspirations communes , de rencontres , plus ou moins de réussites , de réunions , de déceptions et de désillusions .   L’égalité telle qu’elle fut massivement expérimentée à ce moment-là .  C’est à-dire comme une pratique inscrite dans le présent et éprouvée comme telle , et non pas comme un objectif à atteindre .

 Constituant ainsi un défi pour toute représentation future .  En effet, qu’il s’agisse de la création de formes d’activités qui mirent fin à la tradition de représentation et de délégation politique en minant les divisions entre les leaders et les militants de base, ou une mise en place de pratiques symptomatiques de l’engagement de masse dans une politique non  plus  réservée  aux seuls spécialistes, mais sujet de préoccupations de tout un chacun .  Par ailleurs, une telle expérience ne peut que menacer les méthodes , déjà peu nombreuses , dont les dispositions pour décrire  la vie quotidienne et ses représentations sociales .  Quand l’idée même d’union entre contestations intellectuelle et lutte ouvrière vient de s’estomper ou tomber dans l’oubli , il ne subsiste plus guère de mai 68 que la préfiguration d’une contre-culture prétendument émancipatrice qui se résume à une métaphysique du désir de libération .  En quelque sorte, une répétition générale d’un monde constitué  de « machines désirantes « et « d’individus  autonomes «  irrémédiablement enracinés dans leur expérience  subjective . 

 En effet, à partir des années septante, de nouvelles figures avaient pris le relais de l’ouvrier militant, anticolonialiste, et mobilisant l’attention des médias .  L’image abstraite d’une plèbe incarnant détresse et impuissance ayant servi de modèle pour élaborer la figure emblématique de la souffrance ,  aujourd’hui, au cœur du discours sur les  droits de l’homme .  Et la figure du dissident va focaliser à nouveau l’attention sur la guerre froide , plutôt que sur la problématique Nord-Sud qui avait dominé les années soixante .   La victime humanitaire étant désormais au centre des représentations « Les damnés de la terre «  deviennent tout simplement des « damnés » privés de toute subjectivité politique , incapables d’universaliser le tort qui leur est fait, réduits à une figure de leur altérité : victime ou barbare .   En France, tout au moins , le nouveau discours éthique autour des droits de l’homme , qui se trouve surtout formulé par des ex-gauchistes désireux de prendre leur distance avec mai 68, a joué un rôle majeur dans l’oubli de Mai 68 .  Une nouvelle étape est franchie avec l’avènement du moralisme guerrier  inaugurer, bien des années plus tard  par Bernard Kouchner , dans les années nonante : Un fusil M16, dans la main droite et un sac de riz  sur l’épaule . 

Un pitoyable visage hideux de l’après Mai 68 …Par ailleurs, le besoin d’enterrer Mai 68 avait  été servi  par leurs discours sur le totalitarisme , et par deux figures du nouveau régime de  représentation à partir desquelles la fin des années septante va distinguer le bien du mal ,à savoir les droits de l’homme et le couple goulag-holocauste .  

Il est de bon aloi de rappeler que «  Personne n’est mort en 68. En réalité , cette phrase souvent entendue  est fausse .  On doit interpréter sa récurrence  quasi obsessionnelle une volonté de donner à l’insurrection , tout comme les militants et à  l’Etat , une dimension  inoffensive , presque « bon enfant «  . Doit-on mesurer l’importance d’un événement au nombre de ses morts ? Quand il s’agit d’un événement culturel , certainement pas ; c’est bien sous cet angle que l’histoire officielle de la fin des années huitante avait classé  Mai 68 .  

Par ailleurs, on employait communément l’adjectif « culturel «  pour faire référence aux nombreuses transformations opérées à la fois dans le style de vie et dans la vie quotidienne , mais aussi  pour désigner les nouveaux comportements apparus dans les années septante – la généralisation , par exemple, du port du pantalon pour les femmes ou le tutoiement . Cependant, dans quelle mesure peut-on établir une relation de cause à effet entre l’événement-lui-même et son prétendu impact culturel ?   En effet, la plupart des bouleversements de la vie quotidienne figurant sous la rubrique « Conséquences culturelles de Mai 68 » se sont produits de manière comparable dans tous les pays occidentaux soumis à une accélération de la modernisation capitaliste , qu’ils aient connu leur Mai 68 **. 

 Et si une expression aussi vague  « qu’effets culturels « était comparable à ce qu’on nomme dans les pays anglo-saxons « contre culture « ?  Contrairement aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, qui ont connu , au cours des années soixante et septante des développements contre culturels aussi florissants qu’inventifs dans le domaine musical en particulier ; la France d’après Mai 68, n’a fait que les importer .   Dans les années  qui suivirent 1968, il ne semblait pas y avoir des limites   aux projets et aux entreprises de propagation des idées ; de nombreux journaux virent le jour .Tous  avaient en commun,  comme souci commun de prolonger les évènements ou d’orienter l’action politique  dans cette direction .   Selon les spécialistes , Mai 68, n’avait eu guère d’influence dans les sphères de la haute culture française , plus particulièrement en littérature . Patrick Combes avait montré que le  roman  n’avait que timidement essayé de traduire la dimension politique de l’événement . 

L’écrasante majorité des romans postérieurs  à 1968 avait tout bonnement  calqué sa démarche sur celle des médias , choisissant, par exemple, de présenter des évènements à travers la conscience tourmentée d’un héros , souvent caricatural , en pleine crise existentielle , le tout sur fond de barricades .  En effet, Mai 68, n’avait rien en soi d’un événement d’artistique .  Il  n’a d’ailleurs laissé que peu d’images. Après tout, la Télévision était elle aussi en grève .  En revanche, dessins et caricatures politiques –signées , Willem, Cabu , et bien d’autres – ont proliféré ; nombre de photographies avaient été prises.  Seuls les moyens artistiques les plus rudimentaires avaient pu suivre le rythme des évènements . Cependant, dire cela , c’est déjà montrer à quel point la politique exerçait une irrésistible force d’attraction sur la culture .  Au  point de la  faire renoncer à toute autonomie .  Comment expliquer, sinon, que l’art ait soudainement estimé  qu’il lui fallait , non seulement suivre les évènements  au plus près, mais aussi  fusionner avec eux , ne faire plus qu’avec l’actualité du moment ?   Mai 68, ne fait que confirmer l’asymétrie et l’étanchéité  qui semblent régir en France  la relation entre culture et politique .  En fait leur absence de relation est au cœur du même événement : l’échec des solutions culturelles à fournir une réponse , la création et le développement de formes  politiques  totalement opposées aux formes culturelles déjà en place , l’expérience  menée par les étudiants  des Beaux-Arts illustre cette tendance .  

DEUXIEME PARTIE


 LA DISPARITION DE L’APPELLATION  «  TIERS-MONDE «  DU LANGAGE COURANT ***

  Au lendemain de la seconde guerre mondiale , les anciennes colonies s’étaient organisées en «tiers-monde » , affirmant ainsi  leur autonomie  vis-à-vis des deux blocs . Aujourd’hui, on ne parle plus guère du  tiers- monde, devenu  atelier de délocalisation ou une zone d’appauvrissement continue .  Il y eut pourtant une époque où certains ont prétendu craindre que la Libye n’achète l’Amérique  (…)  sic !

« tiers-monde » : l’expression  semble vieux jeux , pourtant , il fut une époque, pas si lointaine, où elle faisait fortune .  En effet, alors , que la guerre froide surgissait , l’invention de ce concept  avait le mérite de rappeler l’existence d’une zone immense de la planète , pour laquelle la question primordiale n’était pas sur quel camp s’aligner , mais quelle serait , à son égard , l’attitude des Etats-Unis et de l’ex-Union soviétique .  En 1945, la moitié de l’Asie , la quasi-totalité de l’Afrique ainsi  que les Caraïbes et de l’Océanie , demeuraient des colonies .  Sans parler des pays « semi-colonisés « . Pour ce vaste monde sous tutelle , où  la pauvreté surpassait –et –de loin – celle des pays industrialisés , la priorité allait à la libération nationale .   En effet, en les englobant  dans une même expression , « tiers-monde » , on soulignait  à la fois les caractéristiques communes propres  à tous les pays, mais aussi  le fait qu’ils n’étaient pas nécessairement impliqués dans la guerre froide .  La formule renvoyait aussi à l’effort  de certains  intellectuels européens  pour créer une «  troisième force »  entre communistes et anti-communistes .  Elle faisait  enfin –et-surtout- référence à la Révolution française et au fameux texte  de l’abbé Sieyès : » Qu’est-ce que le tiers-Etat ? Tout . Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien . Que demande-t-il ?  A devenir quelque chose ****.  

Par ailleurs, au début, ni Washington , ni  Moscou, n’accordèrent la moindre attention au tiers-monde et à ses revendications .  Les Etats-Unis considéraient la question coloniale comme absolument secondaire , les puissances coloniales n’imaginaient quasiment pas que leurs pressions outre-mer  puissent accéder rapidement à l’indépendance . Quant à l’URSS, , elle se méfie de tout mouvement national , même sous l’égide communiste , dès lors que des troupes soviétiques n’étaient pas déployées dans le pays concerné . 
 
LES ANNEES SOIXANTE : LES  NON-ALIGNES ONT LE VENT EN POUPE ET
LES MOYENS DE SE FAIRE ENTENDRE …
 

En Asie, les colonies ne pouvaient être rétablies .  La plupart d’entre-elles avaient été occupées pendant la seconde guerre mondiale par les Japonais, si bien qu’après 1945, les pouvoirs coloniaux s’y trouvaient en position de faiblesse .  Les Etats-Unis concédaient à l’indépendance  aux  Philippines , dès 1946, mais la France n’entendait pas suivre leur exemple en Indochine , pas plus que les Pays-Bas aux Indes néerlandaises – d’où des guerres  que les métropoles allaient perdre . Londres reculait plus rapidement , acceptant  l’indépendance de la Birmanie, de l’Inde et du Pakistan .  Malgré une situation plus compliquée, l’évolution au Proche-Orient aboutissait à des résultats comparables .  

Une  nouvelle ère s’est ouverte :  la décolonisation est en marche .  En 1954, cinq leaders  qui refusent le manichéisme de la guerre froide  - l’Indien Jawaharlal Nehru, l’Egyptien Gamal Abdel Nasser , le Yougoslave Tito, l’Indonésien  Sukarno et  le Cingalais John Kotelawala – décidaient de convoquer une conférence  Afro-Asiatique à Bandung .  Qui inviter ? Désireux de créer une force interétatique , ils n’adressèrent qu’à des Etats indépendants .  La chine, décision capitale ., fut conviée, le Japon aussi, de même les deux Vietnam, mais aucune des deux Corées .  L’Union soviétique souhaitait participer, sa demande fut rejetée . 

En 1955, déjà, on différenciait Pékin et Moscou .   L’Urss,  allait en tirer la leçon  l’année suivante : après le  XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) et le fameux rapport Khrouchtchev , elle cesserait de décrire les mouvements de libération nationale du tiers-monde  comme « bourgeois et réactionnaires «  , leur reconnaissant subitement des vertus « démocratiques «  et mêmes « socialistes «  en gestion .  Ce geste ne fut guère récompensé , la plupart des dirigeants du tiers-monde rechignant à unir leurs pays et ceux du camp socialiste au sein d’un bloc unique «  progressiste «  .   Autonome, le mouvement tiers-mondiste allait avoir le vent en poupe, tout le long des années soixante . 

Les pays afro-asiatiques nouaient des liens avec l’Amérique latine  sous l’étiquette de pays « non-alignés » ou tricontinentale, après le succès de la révolution cubaine .  Les protagonistes de la guerre froide les courtisent activement . Et pour cause :  dès 1960, les  tiers-monde disposaient , à l’Assemblée générale des Nations unies , d’une majorité leur permettant d’imposer une série de déclarations  légitimant les  aspirations anticoloniales . C’est ainsi qu’elles  firent de la décennie 1970 celle du développement .   Apogée de ces efforts, la décision collective des pays de l’Organisation des pays  exportateurs du pétrole (OPEP), en 1973, d’augmenter le prix de pétrole, provoquant ainsi une panique généralisée, dont les séquelles sont encore vivaces .  Le monde dit « développé »  deviendrait-il dépendant des pays pétroliers. 

 Plus de quarante ans après, en pleine mondialisation néolibérale, on se frotte les yeux en se demandant  comment la roue ait pu tourner à ce point .  Personne n’imagine plus que la Libye puisse  acheter les Etats-Unis .  Malheureusement pour les Libyens, le pétrole est devenu leur ennemi principal , depuis la chute de Moammar Khadafi, en 2011.  Le pays est livré à des milices qui font la loi  partout dans un pays en lambeaux disputé par des charognards sans foi, ni loi.  Il faudra au moins deux décennies pour remettre ce pays en marche . 

Mais, qui sait ? Peut-être, ce peuple de  nomades sédentarisés de force par Kkadafi, se ressaisisse en trouvant un dénominateur commun, hors du pétrole et penser à une unité nationale , perdu depuis la naissance de cet Etat , né en 1951, dans la confusion totale . Une fédération de trois régions serait idéale : Le Tripolitain, le Céréanique  et le Fezzan , tout en gardant la République comme régime .    Par ailleurs,  Tout  avait commencé en 1968, révolution mondiale  au double sens du terme . Elle déferla  en effet sur les trois mondes  -Occident , pays dits socialistes, tiers-monde  . 

De surcroît , au delà de leur langage  spécifique, toutes les insurrections reprirent deux thématiques du « système –monde » .   La première thématique est avant tout géopolitique .  Les révolutionnaires de Mai 68 condamnaient l’hégémonie américaine et ses manifestations les plus funestes , comme la guerre du Vietnam . En même temps, dénonçaient la « «  avec cette  hégémonie

Cependant, il y avait une deuxième thématique : la période 1945-1968 qui avait vu ,presque partout, se réaliser le rêve centenaire des mouvements des trois sensibilités (communistes, social-démocrate et de libération  nationale ) , arriver enfin aux commandes de l’Etat .   Le communisme ,ou ce qui se présentait, comme tel, s’étendait sur un tiers de la planète. Les pays occidentaux étaient devenus keynésiens , avec  à la clé  l’Etat-providence , partis de gauche légitimes  et  une alternance au pouvoir .  Quant aux mouvements de libération nationales, ils avaient triomphé où  se trouvait se trouvait une stratégie en deux étapes remontant à la fin de XIXe siècle : d’abord  accéder au pouvoir étatique, puis transformer le monde.   La première phase achevée , le temps venait de juger la seconde à ses résultats . Or, en 1968, les révolutionnaires  pouvait dresser un bilan tragique : le changement annoncé n’était nulle part au rendez-vous .  

LE LOURD BILAN DES REVOLUTIONNAIRES AVAIT CONDUIT A VALORISER LES DROITS DE L’HOMME PLUTÔT QUE LE DROIT DES PEUPLES … 

 C’est ainsi qu’on s’ engagea sur le chemin de la désillusion . En effet,  en 1978, Jacques Julliard , lançait , dans les colonnes du « Nouvel Observateur «  une polémique sous le titre «  Le tiers-monde et la gauche « , dénonçant des régimes, soit corrompus, injustes, policiers et souvent sanglants , soit chaotiques , tyranniques  et non moins sanguinaires. Sa conclusion « Le droit des peuples  est devenu le principal instrument d’étranglement des droits de l’homme «  .  Lorsque tombèrent le mur de Berlin , et avec lui, les régimes communistes , la discussion sur le « tiers-mondisme « était close . En débattre aurait signifié le prendre au sérieux .  Seuls comptaient désormais, les « droits de l’homme «  , et du même coup, « le droit d’ingérence « , inauguré en 1991, par Bernard Kouchner, un sac de riz, sur l’épaule et un fusil M16, à la main  au  Kurdistan  en Irakien  (…) sic !  

Suivirent  la guerre civile aux Balkans, ainsi  qu’une  multitude  de guerres en  Afrique, la chasse gardée de la France ( Tchad, Corne d’Afrique, Centre-Afrique, Libye,  etc..)   En parallèle, fleurit la mondialisation , » une économie aussi nouvelle que  merveilleuse qui applique l’adage : un coup de main pour le fort et un coup de pied pour le faible « et qui fait grimper les actions des possédants mais laisse crever ceux qu’on admet pas à bord en leur expliquant que « c’est de  leur faute s’ils sont laissés au bord de la route «  , des exclus qui font d’ailleurs penser à ce qu’on appelait jadis le «  tiers-monde «  .   Où en sommes –nous maintenant ? L’économie du monde capitaliste semble à son apogée : elle est entrée  enfin en crise . En fait c’est le système –monde qui se désagrège . Comme n’importe quel système , le capitalisme se maintient grâce à des mécanismes qui permettent de rétablir son équilibre  chaque fois que ses propres mécanismes lui échappent , c’est à—dire lorsque l’écart par rapport à la norme devient trop important .

C’est d’ailleurs pourquoi le nouvel équilibre n’est jamais tout à fait identique au précédent .   L’écart doit atteindre une certaine ampleur  avant que ça se déclenche le contre-mouvement  et l’économie-monde capitaliste , comme tout autre système , ce dernier comporte des rythmes  cycliques .   Ainsi, depuis 1945, l’économie –monde est passé par un cycle de Kondratiev ****typique. D’abord, une phase A. L’Après guerre avait commencé par « les trente glorieuses »  une étonnante  période   de croissance  en occident , dans le bloc socialiste et dans le tiers-monde.

Il s’agit également d’une période d’hégémonie incontestée des Etats-Unis ainsi que l’épanouissement  des mouvements de libération nationale .   Suit une longue phase B, caractérisée par la stagnation économique et la montée du chômage .  De vieilles industries  s’étaient délocalisées vers des zones à bas salaires soigneusement sélectionnées , qui avaient donné du coup, l’impression de se développer. Cette phase comporte d’ailleurs toujours le transfert sous d’autres cieux de productions naguère sources importantes d’accumulation, mais qui avaient cessé de l’être depuis quelles avaient perdu leur caractère de monopole . Pour les pays d’accueil , il s’agit d’un développement de « seconde main «  . 

 Si l’équilibre du système –monde capitaliste n’est jamais tout à fait rétabli, c’est parce que les contre-mouvements  impliquent la modification des paramètres qui sous-tendent le système .  L’équilibre est donc toujours en devenir , déterminé par l’association des rythmes cycliques et les tendances « trends » séculaires .  Mais ces derniers ne peuvent se perpétuer indéfiniment , car il se heurte à des limites .   Alors, le système  déraille , entre sa crise terminale , et parvient à une bifurcation . Il devait choisir entre plusieurs voies menant à une nouvelle structure, avec un nouvel équilibre, de nouveaux rythmes cycliques et de nouvelles tendances lourdes.   Mais ce choix ne peut s’effectuer à l’avance, car il dépend d’un nombre  infini de facteurs  échappant partiellement aux contraintes du système .  Ce qui est entrain d’arriver . 

 CONCLUSION 

La poussé mondiale anti-étatisme a entraîné deux conséquences immédiates .
D’abord , les peurs sociales se sont multipliées, incitant ainsi les individus à reprendre à l’Etat son rôle de garant de leur sécurité .

On entre alors dans un cercle vicieux : plus les gens prennent en main leur défense , plus la violence devient chaotique et moins  les Etats parviennent à gérer les situations complexes.   La seconde conséquence :  Un Etat en perte de légitimité ne peut plus dompter les « classes dangereuses «  , et donc remplir sa fonction de garantie des quasi-monopoles dont les capitalistes ont besoin .  Voilà pourquoi les spécialistes affirment que l’économie-monde capitaliste  est désormais entrée dans une crise grave, qui pourrait s’étendre sur un demi siècle . Reste à savoir ce qui va se passer au cours de cette transition de l’actuel système vers un  ou   plusieurs  autres… S’ouvrira-t-elle  ou non  une période de confusion  politique , économique et sociale à l’échelle mondiale qui entraîna l’époque actuelle vers les abîmes … L’issue dépendra de la capacité de mobilisation des uns et des autres , donc ouverte à l’intervention et à la créativité humaine  qui en avait vu d’autres .(…) sic !   

* Louis Althusser (1918-1990) philosophe membre  du Parti communiste Français a entrepris une lecture de Karl Marx à la lumière notamment de la théorie structuraliste , qui a exercé une forte influence , entre autres par l’intermédiaire de ses disciples , dont certains deviendront partie prenante du courant maoïste . Auteur , entre autres de « Pour Marx « , Editions Maspero, 1966 – réédité en 2005)  .

** L’expression du Philosophe Gilles Deleuze .

 ***Nikolaï Kondrateïv (1892-1938) Pour lui, l’histoire économique repose , depuis deux  siècles sur deux cycles économiques longs (d’une durée de 50  à 60 ans), alternant phases de croissance liées aux révolutions scientifiques et  technologiques (A) et phases de récession dues  au suréquipement et à la surcapitalisation (B) .

 ****   Sociologue , directeur du centre Fernand Braudel ( Université Binghamton) et  chercheur à l’Université de Yale (Etats-Unis ), dernier livre paru en Français : « Le capitalisme historique «  - Editions La Découverte , Paris 2011  (1ére édition 1993) .
           

DR MOHAMED BEN ABDALLAH

DR OF BUSINESS ADMINISTRATION
 SPECIALISTE EN MACRO-ECONOMIE DU MAGHREB ;
 AUTEUR DE « L ‘INTEGRATION ECONOMIQUE DU MAGHREB,
ENTRE LE POSSIBLE & LE REALISABLE « ;

 EN LIGNE, SUR NOTRE SITE www.dr-ben-abdallah.ch,

 
DEPUIS  LE 1er mars 2009 ;

   &

  EDITORIALISTE-REDACTEUR EN CHEF

 
DU SITE www.dr-ben-abdallah.ch

DEMEURANT   SIS  1202  GENEVE II
    



 04/12/2014