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Editorial Politique


EDITORIAL POLITIQUE


LES CENT JOURS DU NOUVEAU GOUVERNEMENT TUNISIEN

PROLOGUE : L’HEURE DE VERITE A SONNÈ ?


Il y a quelques semaines, le gouvernement de M. Chahed,  a  fêté    ses cent jours de pouvoir.  Tout semble indiquer qu’il a réussi son entrée, malgré les embûches qui parsèment son jeune parcours.   En effet, la corruption, l’impatience sociale, l’écroulement du tourisme qui s’ajoutent à la pression des bailleurs de fonds.  Le miracle tunisien, tant chanté par les institutions de Breton Woods, avait fondu comme neige sous le soleil à l’épreuve de la dure réalité.   

Impatience sociale, corruption, écroulement du tourisme, pression des bailleurs de fonds internationaux, tel était le bilan calamiteux de l’ancien premier ministre tunisien durant ses dix-huit mois de règne (1er janvier 2015-28/08/ 2016).

Les progrès politiques salués en 2015 par l’attribution du prix Nobel de la paix au « quarteret « d’organisations qui  avaient   parrainer le dialogue national de 2013 en Tunisie ne peuvent dissimuler les difficultés à convertir ce succès en progrès économiques et sociaux.

Nommé en août dernier la tête d’un gouvernement d’union nationale, le libéral Youssef Chahed, a fait planer la menace d’une cure d’austérité dès son discours d’investiture devant l’Assemblée, le 26 août dans un climat, le moins qu’on puisse dire hostile.

Il faut avouer, que quasiment tous les indicateurs économiques sont au rouge :  dette, comptes publiques, croissance économique …Le Produit Intérieur Brut (PIB), qui avait crû de 3,9%, en 2012, n’a augmenté que de 0,8%, en 2015.  La Tunisie n’en finit pas d’encaisser le double choc de la révolution de 2011 et des attentats de 2015.



UNE ECONOMIE SINISTREE



Alors qu’elle commençait, tout juste, à se relever après 2011, le tourisme avait subi le second choc en plein fouet : les recettes touristiques qui culminaient en 2010, à 3,5 milliards de dinars, sont descendues à 2, 4 milliards de dinars en 2011.  En 2012, et 2013, la Tunisie a retrouvé un niveau assez proche des années fastes, 3,6 milliards   de dinars en 2014. En 2015, une nouvelle descente en    enfer du secteur tourisme qui n’est retrouvé   à son niveau le plus bas, soit 2,4 milliards de dinars. Pour cause la multiplication des attentats : Bardo, Sousse, Tunis, Ben Guerdane.

Alors qu’elle commençait à se relaver du séisme politique de 2011, le tourisme ayant subi le second choc en plein fouet, (voir ci-dessus). Ce secteur représentait entre 7 et 8% de PIB, en 2011, et près de 20%, en intégrant toutes les prestations associées ; il n’en pèse plus que 4% aujourd’hui.

L’Etat par les urgences en soutenant à coup de centaines de millions de dinars les hôtels désertés.  Attente de faire évoluer un nouveau model fondé sur le balnéaire à bon marché, de moins en moins lucratif, vers un tourisme lucratif à l’instar de l’Espagne, la France et l’Italie, dans l’espoir hypothétique retour de grâce de la destination Tunisie…

Par ailleurs, de manière générale, la diversification de l’économie se fait attendre, faute d’un schémas directeur clair et d’un projet économique basé sur une analyse approfondie afin d’apporter des réponses macroéconomiques claires et précises pour secouer le cocotier tunisien   ensevelie   sous un tas de fumier généré par un parlement qui ne sait que se chamailler et se tirer dans les pattes.  Le nerf de la guerre reste l’argent.  Les Tunisiens doivent compter sur eux-mêmes et s’en passer des institutions de Breton Woods en s’offrant un plan marshal par une souscription nationale de  dix milliards de dollars   auprès de leur banque centrale et garantie par le trésor tunisien.  

La panne de l’économie tunisienne se concentre dans la région minière de Gafsa. Où se trouvent les mines de phosphate, au sud du pays, en est une illustration. En effet, huit ans après  le soulèvement, initié dans cette région par des chômeurs, qui s’était transformé en contestation générale contre le régime Ben Ali, aucun modèle alternatif n’a permis de redistribuer au profit de la région les revenues du phosphate, ni créer d’autres possibilités d’emplois.

Les conflits sociaux y ont repris de plus belle, entraînant une baisse la production de  phosphates de 60% depuis 2011.  Résultat des courses :  la Tunisie se voit ravir ses marchés par le Maroc.

Sur le front social, la température monte dans un pays où le chômage s’élève, officiellement à 15,4%, et dépasse les 30%, chez les jeunes diplômés.  Pour parer au plus pressé, l’Etat avait recouru, massivement, depuis 2011, aux emplois publics subventionnés, peu productifs et sous-payés.

En cinq ans, la masse salariale de l’Etat est passée de 6,7 à 13,4 milliards de dinars (4,4 milliards d’euros). Sois des recettes budgétaires et près de 14%   du PIB (contre respectivement 35% et 11% en 2010). Par ailleurs, le déficit budgétaire s’est creusé ces cinq dernières années, pour atteindre   en   2015, 14% du PIB. Et du coup la dette extérieure ayant grimpé de 25 milliards de dinars en 2010, à 56 milliards, en 2015, soit de 51 % à 66% du PIB.  Un niveau qui   pourrait culminer à 73% en 2018.

La situation de la dette extérieure anticipée par le Fonds monétaire international (FMI), à l’horizon de 2020 est fondé sur l’hypothèse du retour à un taux de croissance de plus de 4%, comme dans les années 2000, alors qu’il serait encore moins de 2% cette année.  Quant au dinar, sa dépréciation s’est accélérée en 2016, face au dollar et à l’euro.



UN ETAT MAFIEUX ?

Dans ce contexte, les marges de manœuvre de l’Etat pour relancer l’économie sont quasiment nulles.  La Tunisie n’a guère d’autres choix que de plier aux injonctions de ses bailleurs de fonds internationaux. 

Le 20 mai dernier, le pays avait signé un nouvel accord   avec le FMI pour un prêt de 2,9 milliards de dollars (5 milliards de dinars) sur quatre ans, en contrepartie d’un plan de réforme draconien (ajustement structurel) : gel des embauches dans la fonction publique, réformes administratives, baisse des déficits sociaux, réduction de subventions pour les énergies et aux produits de premières nécessités. Bref, une mise sous tutelle du pays.

Il n’est pas certain que l’union nationale incarnée par le nouveau gouvernement, puisse résister à la grogne sociale que ces réformes ne vont pas manquer de susciter.  En effet,  en  2013, lors du précédent accord, la Tunisie s’était déjà engagée à accélérer la libéralisation de son économie : loi sur les partenariats publics-privé, indépendance de la Banque centrale (BCT), restructurations des banques publiques, nouveau code d’investissement etc.… En gros, la potion tueuse des économies chancelantes administrée par sa Majesté le FMI qui, bien des années en arrière, quand la Tunisie était le « le bon élève « qu’on donnait volontiers en exemple qui appliquait strictement ses directives sur le pauvre peuple tunisien sous le joug de la dictature Ben Ali.  Révolution ou pas, le comportement du FMI est toujours le même : affaiblir un pays, l’engluer des dettes abyssales puis le mettre sous tutelle comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, après la crise de 2007.

Et pourtant, depuis les années 1980, les multiples ajustements structurels successifs et la libéralisation de l’économie que les institutions de Breton Woods qu’ils avaient imposés n’ont pas permis de combattre les causes fondamentales du sous-développement tunisien.

En effet, depuis l’indépendance, l’accumulation du capital par des entreprises privées s’est toujours faite, en Tunisie, grâce à des protections politiques.  Ce qui avait permis aux clans proches du pouvoir de concentrer les terrains, les crédits, et les autorisations d’activités, faisant ainsi des entrepreneurs proches du pouvoir des prédateurs hors pair.

Cette prédation avait été poussée à l’extrême, dans les années 1990-2000, par les familles liées au président déchu, Ben Ali   et à son épouse L.  T. qui avaient détourné l’équivalent d’un PNB annuel 40 milliards de dollars.  Laissant ainsi les Caisses du Trésor public vides et un pays englué dans une dette abyssale 70% du PNB en 2020.

Tout le processus de privatisation avait été détourné au profit de quelques familles, qui avaient participé à la curée. Les avoirs détournés se sont volatilisés dans des banques off-shore, partout dans le monde. Les gouvernements post-révolution, se heurtent à un mur négationniste qui ne reconnaît pas la spoliation de la Tunisie par ses propres enfants.

Les profits engrangés par cette mafia tunisienne ont été réinvestis dans des activités de rente (téléphonie, concessions automobiles, grande distribution etc.…)  Sans impact sur le développement d’un véritable entreprenariat productif.  Parallèlement, s’est développé un tissu industriel de PME, mais reste cantonné dans la sous-traitance pour des multinationales européennes, faisant de cette main-d’œuvre   qualifiée une proie à leur prédation.


Par ailleurs, la démocratisation engagée réussira-t-elle à rompre définitivement l’imbrication politique et de l’économie ? Rien n’est moins sûr, même le poids des milieux d’affaires dans les partis au pouvoir et l’infiltration de réseaux mafieux au sein de l’administration sont désormais dénoncés ouvertement.

En effet, fin novembre, la Tunisie accueillera une conférence internationale d’appui à son programme de développement à l’horizon 2020 . Cinquante grands projets sont censés relancer et transformer l’économie tunisienne : doublement du réseau autoroutes, nouveaux ports et aéroports, barrages, zones industrielles et installations électriques.

Le pays    espère    mobiliser 50 milliards de d’euros, dont au moins 60% doivent être apportés par des capitaux internationaux. Le « miracle politique « tunisien risque cependant ne pas suffire à attirer les investisseurs étrangers.

COMMERCE PARALLELE & CORRUPTION ENDEMIQUE

Les deux phénomènes les plus marquants de l’après-révolution ont été l’explosion du commerce parallèle et la banalisation de la corruption. On estime que l’économie informelle représente aujourd’hui plus de la moitié du produit intérieur brut (PIB), contre un tiers en 2012.  Elle est alimentée surtout par la contrebande à grande échelle de carburants, cigarettes, matériaux de construction, électroménager, produits fabriqués en Chine, en provenance de Libye en grande majorité et en moindre mesure d’Algérie.

Ce phénomène s’explique notamment par les droits de douanes élevés à l’entrée en Tunisie et par les différentiels de prix, les produits de base, étant largement subventionnés dans les deux pays voisins.  Fermer les yeux est un moyen pour l’Etat tunisien de garantir un minimum de paix sociale dans les régions peu développées, mais c’est un remède empoisonné.  Parce qu’il maintient les opérateurs économiques de ces régions en marge de l’économie tunisienne et accroît la corruption des organes de l’Etat (douanes, administration fiscale, justice, police etc.…)  D’une manière générale, le départ des clans proches de Ben Ali et son épouse n’a pas mis fin à la corruption, car les islamistes sont aussi connus par leur voracité et leur rapacité.  Au contraire, le retrait des « parrains » qui monopolisaient les relais avec l’administration et la justice a donné à leurs intermédiaires toute la latitude pour développer leurs propres activités avec de nombreux appuis dans les médias et surtout les partis politiques plus corrompus que jamais, à quelques exceptions près …



L’AMPLEUR  DE LA TÂCHE REQUIERT UN  SENS  DE L’ETAT, UN ESPRIT VISIONNAIRE ET UNE RIGUEUR QUI SEMBLENT HABITER LE   NOUVEAU  PREMIER MINISTRE 


Le nouveau premier  ministre, M. Chahed doit  s’atteler à  une politique de réformes  en profondeur visant  à affirmer  l’Etat de droit, ancrer  la démocratie et surtout, assurer  le développement  économique  et le progrès social  en Tunisie devrait  passer  par un préalable : la  restauration de l’Etat dans les prérogatives régaliennes ,  notamment  au plan  sécuritaire , sans revenir  aux pratiques autoritaires  et prédatrices  antérieurs  à  la révolution  de  2011 et le rétablissement d’une relation de confiance nécessaire entre le citoyen et l’Etat .  A ce titre, la présence à  la tête de l’Etat d’une personnalité  charismatique et expérimenté , en la personne de M. Béji Caïd  Essebsi, , n’est pas  une garantie  suffisante ? D’autant, que la Constitution de la  2e République ( adoptée en 2014) ayant  en partie équilibré le pouvoir  en faveur  du parlement, devant lequel le gouvernement  est désormais responsable .

Encore faut-il modifier en profondeur le comportement de l’administration  et ses représentants .  La volonté des autorités de lutter contre la corruption endémique , qui  s’est  parfois  renforcée , notamment au sein  des douanes et la police , au cours des  années  de transition , constitue un  test crucial pour la réhabilitation de l’image de l’Etat auprès  du citoyen  lambda .

Il n’est pas sûr  que le projet  de loi proposé par  le président Essebsi, sur la réconciliation économique et financière , qui vise  à amnistier sous conditions  des hommes d’affaires kleptomanes impliqués  dans des affaires de corruption sous Ben Ali ou la transition  , soit  perçu comme allant  dans le sens voulu, même s’il  vise  à dynamiser  l’économie et l’investissement .

Par ailleurs,  la réforme  du secteur sécuritaire est certes primordiale  pour l’avenir , cependant, il ne faut pas qu’il éclipse celui de l’administration, de la fiscalité, de l’enseignement ou de l’agriculture  qui exigent une   réflexion, un travail et surtout  un suivi.  En effet, le réalisme   et le compromis affichés par le premier ministre, M. Chahed, doivent servir  l’innovation et l’action pour remettre la Tunisie  sur les rails et en mouvement .

 LA  PREMIERE PRIORITE DU NOUVEAU  GOUVERNEMENT TUNISIEN 

Loin d’être  démagogique,  la première priorité  du gouvernement de M. Chahed, devrait être la  reconstruction  du tissu  industriel tunisien  construit  pierre par pierre depuis l’indépendance et qui faisait la fierté  du pays .  Ce patrimoine  avait été  dilapidé ces  cinq dernières  années par l’incohérence des ministre  de la transition . Des centaines de milliers d’emplois ont été détruits . Plusieurs sociétés  étrangères ont plié bagages à  cause des grèves sauvages , de l’anarchie orchestrée par des partenaires sociaux incapables  de trouver  le plus petit dénominateur  commun pour éviter l’affrontement . Le mot consensus  a été  remplacé par  affrontement . 

Les ministres qui se sont  succédés  au ministère de  l’industrie  avaient  montré  leur limites  . Quant à l’actuel, il est  trop tôt  pour porter  un jugement de valeur .  La relance  de l’industrie  est une condition sine qua none pour  un nouveau départ de l’économie tunisienne, encore  convalescente depuis  2012 .  Par   ailleurs,  au lieu de s’endetter d’un milliard d’euros  à un taux prohibitif  de 5%, par année afin de le distribuer aux fonctionnaires et acheter la paix sociale . Ce prêt aurait pu  servir  à relancer  notre  industrie  sinistrée .
Quant à l’industrie touristique , il faut la revoir de fond en comble et cesser  de gaver les tours opérateurs  au détriment de la main d’œuvre  locale  qui ne veut plus être payées en farines  et huiles de palmes subventionnés .

En effet, depuis 2011, nul  n’a  rompu avec le  choix imposé par les institutions de Breton Woods, d’’insérer la Tunisie dans la division  internationale du travail, en offrant aux investisseurs étrangers  une main d’œuvre  qualifiée et des coûts  salariaux dérisoires .  Or faute de développement autocentré, impulsé  par des investissements publics, alimentée  par une demande locale solvable , ce modèle  ne peut que perpétuer  des inégalités  régionales  qui se  transforment en failles  sociales .  Au risque  de voir  l’économie  informelle et la contrebande  s’épanouir , privant ainsi  l’Etat de  recettes fiscales indispensables à son  développement  économique  et politique .

Quand on analyse les grands dossiers  économiques, Nida Tournés  et Ennahda s’accordent sur presque tout :   Ils  ne sont pas  contre l’explosion de  la dette  qui présente aujourd’hui un ratio de 67% du PIB . Le service de la dette constitue une charge onéreuse pour un pays pauvre .  C’est le 3ème  poste budgétaire .  L’autre serpent  de mer  reste la Caisse Générale de Compensation (CGC) qui engloutit  pas moins de 5,5 milliards de dinars , en 2013 .  Le double  aujourd’hui, si on prend en compte les variations  du taux de change  .

Jusqu’à présent, personne n’a osé touché  cette vache sacrée . M. Chahed  peut le faire  en expliquant à la population  que c’est dans son intérêt  la réforme  de cette  institution  . Rappelons-nous, que cette  Caisse de compensation : système permettant de subventionner les produits alimentaires et l’énergie (CGC( a été créé  en  1970.  Depuis l’envol des cours mondiaux du pétrole et des céréales , ayant porté ses dépenses à un niveau démesuré .  Depuis une vingtaine d’années  ces subvenions servent  à  acheter la paix sociale .

Prompt à aligner  les pauvres le FMI, ne cesse  de réclamer la réduction  de ces subventions ,  la   disparition  pure et simple et simple, de  ce mécanisme ,les partis politiques redoutent l’inflation et  la révolution s’il suivent encore ses conseils .

Loin de représenter une conquête sociale , le CGC, eut pour objectif  principal de rendre politiquement soutenable la stratégie libérale visant à encourager   l’industrie en lui procurent une main d’œuvre  bon marché . Et par conséquent attirer les  investisseurs . La Tunisie ayant accepté  que le budget national  finance une partie des dépenses de  consommation courante de leurs ouvriers et employés .  En somme, plus de quarante ans , faute d’un bon salaire, les hommes et les femmes qui travaillent, dans certains  secteurs du textile, de l’industrie  mécanique , et l’électroniques , ont pu acheter  de la farine ou l’huile de palme  subventionnés .

A quoi s’ajoutent les restaurants et  les  hôtels , pâtes et la semoules  servies aux touristes , sont aussi subventionnés comme la consommation d’essence des grosses  cylindrés libyennes  .  L’énergie subventionnée est souvent importée comme celles  utilisées  par les cimenteries portugaises et espagnoles . « C’est un fardeau, admettait  M. Ghannouchi. Il faut trouver une solution raisonnable , non à cause des pressions  des institutions internationales , mais par ce que la dépense  ne peut être soutenue à ce  niveau «  .
M. Caïd  Essebsi, ne dit pas autre chose «  Maintenant, nous sommes arrivés à un point critique . Il vaut mieux  réviser le budget pour favoriser d’autres  priorités «  .   Chiche ! Maintenant que M. Chahed est premier   ministre,  il peut     mettre    en œuvre  cette  réforme indispensable  à une économie saine .

Le problème qui se pose est «  comment réaffecter  les dépenses de la CCG vers des investissements  productifs « ? Et dans les régions de l’intérieur   sans nuire aussitôt   aux Tunisiens les plus déshérités , que l’Etat ne sait pas aider  autrement ?

Il est de bon aloi, de noter que les deux tiers des subventions concernent le carburant . Or  insiste le président  de l’l’Union  générale tunisienne  de travail (UGTT) : « la plupart des chômeurs et des salariés n’ont pas de  voiture . Ils ne bénéficient donc pas de la compensation versée au titre de l’énergie .  Quand les membres de la classe moyenne possèdent un véhicule équipé  d’un moteur  de 4 à 5 chevaux , ils payent leur essence au même prix  le litre qui se situe  à environ 2dinars (…) que  ceux qui disposent de plusieurs voitures de luxe dans la même famille «  .

Reste à pouvoir distinguer les uns des autres, si par exemple, on veut cesser de subventionner la noria de  limousines de millionnaires qui font le plein  d’essence . Le  syndicaliste  ajoute : « c’est la responsabilité du gouvernement .  Nous avons des  propositions , mais nous sommes un syndicat , pas un Etat  avec ses moyens , ses experts , ses bureaux d’études . à lui  de chercher  une stratégie «  .

L’INQUIETUDE DE LA TUNISIE  FACE AU TERRORISME

L’attaque de Berlin a  rappelé  la grande fragilité  du pays  face au terrorisme .   Trois  proches   de l’auteur de l’attentat de Berlin  ont été  arrêtés dans le centre du  pays .  Une semaine après l’attentat contre un marché de Noël à Berlin qui a fait 12 morts et 48 blessés , la Tunisie poursuit son  investigation autour d’Anis Amri, l’auteur de l’attaque , citoyen  tunisien de 24 ans, originaire  de la région Kairouan ( Centre-EST). Samedi 24 décembre, le ministère de l’intérieur a annoncé que  trois de ses proches avaient été arrêtés , dont son neveu .  Tous seraient membres d’une « cellule terroriste «   (...)   liée  à Ania Amri, tué vendredi en cavale à Milan, en Italie .

En effet, l’attaque de Berlin  avait remis  la Tunisie  dans la lumière et rappelé sa  situation de fragilité face au terrorisme . Ce n’est pas la première fois qu’un Tunisien   est  au  centre  d’un attentat en Europe . Le 14 juillet 2016, l’attentat de Nice (86 morts ) avait été perpétré par un jeune tunisien, âgé de 31 ans , originaire  de M’saken (Est du pays). En  Tunisie même, les attentats les plus meurtriers  de ces dernières années  ont été commis   par   des jeunes du pays .

Dans la station balnéaire  de  Port El-Kantaoui , près de Sousse, un jeune danseur de 23 ans , originaire du Kef (Nord), avait tué 38 touristes  sur la plage  d’un hôtel, le 26 juin 2015.  Quelque mois plus tôt, le 18 mars 2015, la tuerie du musée  du Bardo, à  Tunis (22 morts), avait  été perpétrée par un commando de deux assaillants  âgés de 20 et 27 ans , passés  par la Libye .

Au total , selon l’ONU, 5'500 Tunisiens ont rejoint les rangs  de groupes djihadistes en Irak, en Syrie  et en Libye , 6000, selon le « Soufan  Group «  , un institut américain  spécialisé  dans le  renseignement (…)

Un chiffre qui révèle la difficulté  des autorités tunisiennes ,  à contrôler les déplacements  mais aussi à comprendre l’ampleur de ces départs  depuis un pays salué  dans le monde entier  pour sa transition  démocratique, fragile mais spectaculaire , comparée aux autres Etats  ayant   connu  des soulèvements  depuis 2011.

Il aura  fallu du temps pour que les autorités tunisiennes , longtemps recluses  dans une forme de déni, reconnaissent  la gravité du phénomène . En effet,  la première génération  de djihadistes ayant suivi la révolution de 2011, est partie  combattre dans les monts de Chambi  et Semmama , à l’ouest de la Tunisie , près de la frontière algérienne .

Intégrés dans la brigade d’Okba  Iben  Nafaâ  , liée à  Al-Qaïda  au Maghreb islamique , évalués à une centaine d’hommes , ces djihadistes  ont visé les forces de sécurité   tunisienne  dans les régions montagneuses .  C’est  seulement en 2015, avec les attentats contre le musée  du Bardo et Port El-Kantaoui , que la présence  croissante  de l’organisation de l’Etat islamique  ayant éclaté au grand jour , ciblant ainsi  les Tunisiens  mais aussi  les étrangers, et  dans les villes .

LE GRAND FLOTTEMENT SECURITAIRE

Le pays ayant cumulé  les handicaps : une frontière  de 450 KM avec la Libye, une armée restreinte et inexpérimentée  qui se trouve en première ligne  après la chute  de l’Etat policier de Ben Ali, mais aussi une révolution qui, pour une grande partie de la population , n’a pas tenu ses promesses .

En effet, outre la période grave de flottement sécuritaire observée entre 2012   et 2013,  sous la  gouvernance  du parti islamiste (frères musulmans), associés  aux nationalistes arabes de Marzouki , épaulés  par les sociaux-démocrates  de  Mustapha  Ben Jafar , le pays avait vécu une démocratisation  qui ne s’est pas accompagnée  d’une amélioration significative des conditions  de vie .  L’étude du profil  des jeunes radicalisés  montre la complexité du phénomène : chômeurs, mais aussi étudiants et travailleurs , toutes les régions , dont la  radicalisation  a souvent  été soudaine , pas toujours saisie  par les proches  .

En effet, les autorités tunisiennes estiment avoir progressé dans la lutte contre le terrorisme .  Depuis la fin de 2015 et l’attaque contre un bus de la garde présidentielle ( 12 morts ), le pays n’a  pas  connu d’attentat d’ampleur urbain .   Il   y a  néanmoins  vécu une sérieuse  alerte  avec l’attaque  spectaculaire  de la ville de Ben Gardanne , à la frontière  libyenne , où , le 7  mars , plusieurs dizaines de djihadistes , dont certains venus de Libye , avaient mené l’assaut avant d’être pourchassés  par les forces de l’ordre (70  morts  , dont 50  assaillants ) . Par ailleurs, la saisie en   novembre, au même endroit , d’importantes caches d’armes , dont un stock impressionnant de missiles  sol-air (SAM7), soulignant ainsi que les forces de sécurité  résistent à   la  persistance de  la menace .

Désormais, à l’inquiétude   des départs massifs  s’ajoute  celle  de voir ces djihadistes revenir en Tunisie .   Selon  le ministre  de  l’intérieur M.  H. M., quelques   800 d’entre eux  sont   déjà rentrés mais  « mais   les autorités détiennent toutes les informations sur ces individus « , va-t-il   assuré , devant le parlement .  Des déclarations qui ne calment pas les craintes exprimées jusqu’à dans les rangs des forces de l’ordre . «   Le  retour en Tunisie des terroristes  en provenance des foyers de tension est alarmant  et  peut conduire à  la somalisation  du pays «  , ayant affirmé  , dans un  communiqué , le syndicat national  des forces de  sécurité intérieure . Ces djihadistes « ont reçu des formations militaires et  appris  à manipuler  toutes sortes d’armes de  guerre  sophistiquées «  , souligne  l’organisation syndicale, qui  appelle le gouvernement  à prendre des «  mesures exceptionnelles «  .

CONCLUSION


Les cent  jours de M. Chahed  ont   montré  que  la Tunisie    résiste malgré  les séquelles  du régime corrompu  de Ben Ali : sa pauvreté , son endettement hérité  du régime mafieux  des  Trabelsi qui avaient sévi  pendant un quart de siècle a  enfin  réussi   à sortir  la tête  de l’eau  .  L’économie atone  durant  ces  cinq dernière années ,  commence à  prendre quelques couleurs  grâce  à la récupération  de quelques miettes  des fonds  détournés  par le clan Ben Ali .    Il s’agit d’un lourd passif amer,  d’un héritage  de l’ancien régime  de Ben Ali. C’est une blessure   psychologique , tout autant qu’une plaie financière , que l’accès à la démocratie n’a  pas cicatrisé au flan  de la conscience tunisienne .

Au lendemain de la révolution, c’est   l’un  des dossier brûlants ayant atterrit sur le bureau  des  autorités  de la transition .   La question qui se pose est : comment réparer cette prédation systématique  qui avait aspiré les poches  de l’oligarchie familiale, les ressources du pays, privant la population de précieux atouts pour son développement ?

Deux processus  distincts vont dès lors, se juxtaposer , obéissant  à   des logiques juridiques  différentes : la réappropriation des biens du clan Ben Ali-Trabelsi , localisés  en Tunisie même ; les efforts de  récupération  par l’Etat tunisien  de la partie  des  avoirs placés à l’étranger .  Autant le premier  est   assez simple, même s’il demeure inabouti.  Autant le second  relève d’une complexité   . A l’étranger, l’affaire  est tout autre nature .  La  Tunisie  doit solliciter  une entraide judiciaire  internationale marquée  par une inégale  collaboration  des Etats .  Si les pétro-bédoucraties  du golfe   ignorent superbement les  demandes tunisiennes , l’Union  européenne (UE) la Suisse et le Canada font   preuve d’une meilleure volonté .  Dès   le lendemain de la révolution, , le Conseil  européen et la Suisse ont gelé les avoirs de 48  membres du clan Ben Ali . Là aussi   aucun  chiffre global n’était disponible . Nous  savons  que la Suisse en avait saisi pour 46,6 millions, un biens    un   maigre butin,  quand on évaluait  le détournement à 13 milliards de dollars  (9,3 milliards d’euros ) , soit  un quart  du PIB  tunisien  de 2011 .  Cependant , les analystes  se montrent prudents  à l’égard de cette évaluation qui ne pouvait alors  se fonder sur une expertise solide …

Par ailleurs,  entre  les gels  des avoirs à l’étranger et leur  rapatriement en Tunisie , le parcours est semé d’embûches . Les fonds récupérés  à ce jour  sont très modestes : 28 millions de dollars (26 millions d’euros), du Liban, 206 000 euros , restitués  par la Suisse, ainsi que  2 Yachts (valeurs cumulées 8,5 millions d’euros , or l’Espagne  et l’Italie  . Il existe  en Tunisie d’énormes attentes , mais le puzzle à reconstituer est très   compliqué . Il s’agit  d’un travail  de  longue halène .  Car la grande difficulté à laquelle  se heurte  la Tunisie  est que  les Etats  étrangers n’acceptent de restituer les biens tunisiens  que sur la base de   jugements  définitifs   de confiscation prononcés en Tunisie même . Or, les tribunaux tunisiens n’en ont , jusqu’à présent, rendu aucun jugement, dans l’attente d’informations requises dans la centaine de commissions rogatoires internationales   adressées  à une  cinquantaine de pays . Si l’impasse dure longtemps ? «  il y aura un moment où  les biens gelés feront l’objet d’une demande de main levée «  , s’inquiète une source judiciaire .  Les effets   politiques en seraient  désastreux .  La balle est dans le camp tunisien ? Ou  plutôt  à l’étranger ?  La déception sourd ici  et là . La détermination de la Tunisie n’en reste  pas  moins farouche  . « Cet argent  , c’est pour  nous  une question de dignité « , déclare B.O. , avocat général aux affaires pénales du ministère de  la justice . Ajoutant : » il ne faut pas que le crime reste impuni «  .

Même   si le bilan de ces cent premiers jours de  gouvernance ne satisfait pas  tout le monde, il n’en demeure pas  moins probant  .  M. Chahed  a montré  qu’en Tunisie  l’unité  nationale n’est pas  un vain mot et qu’on peut  gouverner  ensemble malgré les  aléas  politiques .

Le Président de la République  a fait  un choix  audacieux en nommant  un jeune  docteur  en économie-agronome, après avoir  fait  ses preuves  comme ministre dans le gouvernement précédent .  Nous soutenons   son gouvernement  et demandons   à tous nos compatriotes   de dire :  «  ce que  je peux  faire  pour mon  pays ?  Et  non,  ce que peut  faire mon pays pour moi « . Il en fait déjà assez pour le bien public  .  Vive la Tunisie, vive la République .






REFERENCES

 _         LE MONDE DIPLOMATIQUE  DU  MOIS D’AVRIL  2014 ;

-          ALTERNATIVES ECONOMIQUES  No  362  du mois de Novembre 201





DR BEN ABDALLAH   MOHAMED ;
DR OF BUSINESS  ADMINISTRATION ;
SPECIALISTE  EN MACROECONOMIE  DU MAGHREB ;
AUTEUR  DE «  L’INTEGRATION  ECONOMIQUE DU MAGHREB
ENTRE  LE POSSIBLE & LE REALISABLE «  EN LIGNE SUR NOTRE SITE

&
EDITORIALISTE – REDACTEUR  EN CHEF  DU SITE

DEMEURANT  SIS  1202  GENEVE   II ;



O2/02/ 2017