EDITORIAL ECONOMIQUE & FINANCIER
ZONE EURO : UN PIEGE NOMMÈ DETTE PUBLIQUE
PROLOGUE
« L’endettement n’est plus un soutien de l’investissement, mais un frein à la reprise. Faute de croissance, la question de restructuration s’impose « .
Loin de s’être résorbé depuis l’éclatement de la crise financière de 2008, le poids de la dette publique et privée , continuent de croître dans la plupart des pays de l’Union. Le poids de cette dernière s’alourdit de 5,3% par an , en moyenne, depuis 2007, à l’échelle mondiale , à un rythme plus rapide que la croissance économique (3,3%) .
Ce gonflement est imputable , pour moitié aux émergents ( en particulier à la Chine, dont la dette totale a quasiment doublé en pourcentage du PIB, depuis 2007 .* Cependant les pays riches sont aussi concernés , en particulier la zone euro . Désormais, la dette n’est plus un carburant d’une croissance insoutenable, mais le boulet qui plombe la reprise . Ce phénomène renvoie au mécanisme de déflation par la dette , décrit par I.F . dans les années trente : en cherchant à se désendetter individuellement, les pays réduisent leurs dépenses . La déprime de l’activité qui en résulte, entraînant la baisse des prix et des revenus , alourdit finalement le poids des dettes .
Pour rendre ces dettes soutenables, les grandes banques centrales s’efforcent de maintenir au plus bas les taux d’intérêt. Leurs taux directeurs , étant proches de zéro, , elles se sont lancées , dès 2009, aux Etats-Unis , en 2015, seulement , dans la zone euro, dans des achats massifs de titres de dette , principalement publique. Une partie non négligeable des dettes publiques , japonaises, britanniques, ou américaines figurent ainsi désormais dans le bilan de la banque centrale .
Dans la zone euro, cette forme de monétisation des dettes qui ne dit pas son nom, risque de ne pas suffire . Faute d’une croissance et d’une inflation à même d’alléger progressivement le fardeau, la solvabilité des nations surendettées ne peut être restaurée que par une restructuration des dettes . Une issue à laquelle les créanciers ne veulent toujours pas se résoudre, comme le montre la gestion calamiteuse de la crise grecque .
COMMENT LA ZONE EURO S’EST ENFONCEE DANS LE PIEGE DES DETTES PUBLIQUES ?
Selon toute vraisemblance, les origines de la crise sont : trois innovations , la première réside dans le fait que la crise européenne trouve certains éléments d’explication dans des transformations importantes de la finance datant des années 1980. La première tient à l’internationalisation du financement des dettes publiques . En effet, au début de la décennie 1980, en proie à des déficits budgétaires importants et aux règles strictes interdisant aux banques centrales de les financer, le gouvernement américain commença à vendre des bons de trésor aux investisseurs étrangers . Il s’agit en effet d’un appel à l’épargne extérieure qui permet d’accroître le montant des financements possibles et atténue la contrainte de maîtrise des déficits .
Les autres grands pays n’ont pas tardé à suivre, plaçant ainsi de plus en plus leurs politiques étrangères sous le jugement instable des investisseurs étrangers . Même avec un taux d’endettement de plus de 200% de son PIB, l’Etat Japonais ne connaît pas de crise, car il finance ses déficits à l’aide de son épargne nationale .
Presque au même moment, les banques d’affaires qui étudiaient la situation financière des Etats et plaçaient leurs emprunts auprès des investisseurs, réduisent leurs coûts en déléguant leurs analyses des dettes publiques à des agences de notation (…) Celles-ci se consacrent alors, quasiment à la recherche de type universitaire !
Standard & Poor’s ( S&P) emploie aujourd’hui plus de 6'000 personnes , engagée avec ses deux acolytes Moody’s et Fitch rattings , dans la course aux profits , peu regardant sur la qualité des analyses de risques .
Aucune des trois Agences n’a signalé la toxicité des produits financiers liés au sub-prime , et lorsque S&P avait dégradé la note des Etats-Unis, le 5 Août 2011, elle avait indiqué qu’il est désormais plus risqué de prêter au gouvernement américain qu’à Enron , à la veille de sa faillite .
Par ailleurs, la tentative d’oubli des crises précédentes et le refus de tirer des leçons du passé, restent les deux moteurs qui permettent de garantir la reprise du dynamisme des transactions financières .
Quant aux Européens, ils pensaient que leurs problèmes étaient de moindre ampleur car il avaient déjà mis en place un plan de sauvetage des banques en octobre dernier . Et c’est là l’une des nombreuses erreurs d’appréciation des responsables européens durant cette crise . Les programmes d’aide ne suffisaient pas à faciliter la tâche . Il s’agissait uniquement de mesures d’urgence.
L’Europe , elle aussi, devra s’attaquer à ce problème en contraignant les banques à enregistrer les dépréciations d’actifs en échange de nouveaux capitaux . Et certaines banques pourraient ne pas y survivre .
Loin d’être un simple thermomètre des dettes publiques, les Agences de notation sont devenues l’un des virus , rarement capables d’anticiper les problèmes mais souvent source d’instabilité lorsque leurs avis négatifs sur telle dette publique vient d’accroître la fébrilité des investisseurs .
Par ailleurs, ces dernies avaient mal géré l’innovation majeure qu’avait présentée la création de la monnaie unique en 1999. Ils y avaient vu la base d’une convergence rapide des économies européennes. Ce qu’ils avaient traduit par le fait que prêter , par exemple , l’Allemagne et la Grèce devait se faire aux même taux d’intérêt , sans distinction de risque entre les stratégies de compétitivité des pays et leurs capacités à maîtriser les chocs macroéconomiques et financiers . Il s’agit d’une erreur d’appréciation dont ils tenteront sans cesse par la suite de ne pas payer les conséquences .
LES ORIGINES DE LA CRISE : UNE GESTION POLITIQUE DESASTREUSE
Dans leur livre, les économistes Allemands, R.&. R. soulignent le fait que les crises de cette publique qui suivirent l’éclatement des bulles ne sont pas tant le fruit des dépense rendues nécessaires pour sauver le secteur financier , que les conséquences des pertes fiscales liées aux récessions et à la faible croissance dans lesquelles s’enfoncent les économies .
Cette évolution calamiteuse étant intervenue dans un contexte marqué par plusieurs décennies de politique fiscale visant à réduire l’imposition , en particulier les ménages aux revenus les plus importants et des entreprises . Les Etats avaient enregistré un lourd manque à gagner qui se chiffrait en milliards d’euros . Ce manque à gagner avait des conséquences considérables sur la dette publique qui ne cesse de grimper .
Les difficultés rencontrées par les finances publiques après l’éclatement de la bulle financière sont apparus dans une situation de généralisation des politiques de baisse d’impôts qui avaient déjà érodé la capacité fiscale des Etats .
Il faut dire que les dirigeants politiques de la zone euro ont accumulé les décisions improvisées , tardives ou à contre temps . Certes apprendre à gérer collectivement une crise de dette souveraine pour des pays dont l’article 125 du traité fondateur stipule que « ni l’Union , ni les Etats membres ne peuvent aider à financer le budget de l’un des difficultés , n’avait rien d’évident « . Pourtant , l’Europe avait montré sa capacité d’innovation institutionnelle qui, si elle avait été assumée au lieu d’être forcée par les évènements, les élites européennes avaient commis des erreurs monumentales : à commencer par le refus d’un allégement rapide des dettes publiques , ainsi que le refus d’une intervention claire de la BCE ( Banque Centrale européenne ) pour maîtriser les taux d’intérêt qui s’ajoute au détestable choix unique de l’austérité constitutionnelle comme seule et unique voie de sortie de la crise (…)
En effet, la crise de la dette des années quatre-vingt et celle des asiatiques , à la fin des années nonante, avaient ouvert un débat international sur la nécessité d’organiser un mécanisme de restructuration des dettes souveraines en difficulté . En 2001, le Fonds monétaire International (FMI) avait fait une proposition reposant sur trois principes : en cas de problème de remboursement d’une dette publique à des créancier étrangers , débiteurs et créanciers doivent négocier un accord de rééchelonnement ( report), ou d’allègement (annulation partielle)de la dette, ; tout remboursement est, en attendant , suspendu ; un contrôle de change temporaire est instauré afin d’éviter les fuites de capitaux .
On imagine ce qu’un tel mécanisme aurait pu apporter à la situation de la Grèce : un allègement de sa dette, auquel il avait fallu, de toute façon, se résoudre , l’arrêt immédiat des fuites de capitaux et donc une moindre nécessité de recourir à des politiques de violences, d’austérité qui, plutôt que de rassurer les investisseurs , ont fini par faire craindre un effondrement de la zone euro . Le coup de pied de l’âne est venu du refus des dirigeants français et l’inflexibilité de Jean-Claude Trichet, ancien co-gouverneur de la BCE , de permettre un allégement des dettes qui ont bloqué toute évolution dans ce sens .
Par ailleurs, l’argument selon lequel un effacement partiel des dettes aurait inquiété les investisseurs ne tient pas : mêmes sans ces allègements , la zone euro est restée une zone de fortes turbulences qu’un accord immédiat aurait peut-être évité .
En effet, la fébrilité des investisseurs avait été nourrie au fil des mois par la volonté affichée par l’Allemagne , secondée par son toutou , la France , de considérer que la seule solution de fond à la crise reposait sur de profonds et durables plans d’austérité , dans une quête permanente de l’équlibre budgétaire inscrite dans la constitution de chaque pays. Tout comme les économistes d’aujourd’hui condamnent la volonté des dirigeants politiques des années trente de maintenir leur ancrage à l’étalon-or au pris de douloureuses récessions et d’une forte montée de chômage , ceux de demain jugeront la folie des Européens de s’enfermer dans une unique logique dépressive , où l’austérité casse la croissance , réduit les recettes fiscales, accroît les déficits , et appelle encore de plus d’austérité .
Il aura fallu attendre fin juin 2012 pour que la persistance de la crise et l’élection d’un nouveau président français incitent les Européens à mettre en œuvre quelques mesures de soutien à une croissance atone depuis cinq ans . Ces mesures étaient censées à renforcer leurs mécanismes de gestion des crises bancaires et de dettes publiques afin d’amorcer les premiers pas d’une centralisation du contrôle des banques européennes . Pour autant , des tensions subsistaient durant l’été 2012, conduisant la BCE à une intervention plus radicale .
En septembre 2012, la BCE décide d’utiliser sa force de frappe pour lutter contre la spéculation qui avait fait grimper les taux d’intérêt du maillon faible de la zone euro, en l’occurrence la Grèce , de l’Irlande et du Portugal , touchant négativement, l’Espagne et l’Italie , et ( positivement ) , avec des taux d’emprunts très faibles comme l’Allemagne et la France .
Elle avait lancé son OMT(Outrght Monetary Transactions ) : des achats « sans limite » des titres de dette publique sur le marché secondaire de la dette . Ce nouvel instrument n’avait pas été présenté comme une aide aux Etats, mais comme permettre à la BCE de reconstruire les canaux de transmission de la politique monétaire , ce qui revient à dire : quand la banque centrale baisse ses taux à court terme afin de réduire le coût du crédit et soutenir l’activité . Or maintenant , les taux élevés , la spéculation obligataire empêchent la politique monétaire de fonctionner . La BCE intervient donc pour redonner de l’efficacité à ses interventions sur les taux .
LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE FACE AU MARASME ECONOMIQUE
Pour affronter la crise, la Banque Centrale Européenne avait pris des mesures exceptionnelles . Mais seulement au profit des banques privées .
Depuis sa naissance, en 1999, la Banque Centrale européenne (BCE) avait été régulièrement accusée de se focaliser , par dogmatisme , sur la lutte contre l’inflation , au mépris de l’activité . Pourtant, face à la crise , elle avait pris des mesures peu conformes à l’orthodoxie monétariste . La zone euro est au bord de la déflation et pour certains économistes , une demande insuffisante et prolongée va finir par affecter la croissance sur le long terme , faute d’investissements physiques et humaines .
Les pays de la zone sont également lestés par leur endettement . A de rares exceptions près, comme l’Allemagne, la dette du secteur privé ( c’est –à-dire celle des ménages et des entreprises) avait commencé à enfler dès le début des années 2000 . Elle n’a que très peu , ou pas du tout reflué depuis le pic atteint avant la crise des » sub-primes « . En effet, entre 2001 et 2013, en pourcentage de Produit Intérieur Brut (PIB), la dette privée est passée de 103% à 137% en France, de 140% à 266% en Irlande et 110% à 172% en Espagne .
Confrontés à la crise, les gouvernements ont réagi pour éviter le récession . Le moteur de l’endettement privé s’étant grippé , ils lui ont massivement substitué de la dette publique . Puis, après avoir beaucoup dépensé , ils ont décidé trop vite de resserrer les cordons de la bourse . En 2010, dans son livre « La crise « , l’économiste Michel Agelitta, avertissait en ces termes : « Une rechute en récession est possible si les gouvernements cherchent à réduire la dette publique avant que le désendettement privé ne soit pa accompli « . C’est hélas ce qu’il ont fait .
DU CLASSIQUE AU NON-CONVENTIONNEL
Dans ces conditions, l’activisme de la BCE est devenu doublement nécessaire . Non seulement la politique budgétaire ayant repris le cap de la rigueur, mais les banques ont également renoué avec les difficultés . En effet, après avoir été sauvées par les Etats, au moment de la crise des sub-prime, elles leur ont ensuite massivement prêté (…) sic ! Et se sont fragilisées par la détention ces créances sur certains Etats ( Grèce , Espagne, Portugal , Irlande etc…) Ils se sont fait malmené par le marché . Or les banques constituent un maillon essentiel de l’économie de la zone euro ( en Allemagne 70% du financement du secteur privé, contre 20% aux Etats-Unis .
La BCE multiplie ses soutiens aux banques pour qu’elles financent l’économie . C’est pour cela, elle a utilisé l’arme classique des taux directeurs . Ceux-ci sont pratiquement nuls :le taux dit des opérations principales de refinancement est fixé à 0,5%, depuis septembre 2004. De plus , elle s’est mise à communiquer à l’avance de l’orientation de son action .
En effet, à plusieurs reprises, le Président de la BCE, M. Mario Draghi avait répété que la Banque Centrale européenne (BCE), garderait le taux très bas ! La même BCE s’est également résolue à utiliser des instruments « non conventionnels « , qualifiés ainsi car ils ne faisaient, jusqu’à présent, pas partie de sa boîte à outils traditionnelle . Elle avait par exemple, élargi la gamme des actifs qu’elle demande en garantie , lorsque les banques commerciales viennent se refinancer en liquidités auprès de la BCE . En d’autres termes, elle accepte des « collatéraux » plus risqués , comme par exemple les bons de trésor de l’Etat grec . De plus la BCE qui, en temps normal prête seulement à court terme aux banques , avait procédé en 2011, à plusieurs opérations d’octroi de liquidités à long terme (LTRO long term refinancing operations), d’une durée de trois , voire quatre ans . Enfin, depuis 2010, et surtout depuis septembre 2012, la BCE rachetait des titres de dette publique vendus par les banques du marché secondaire . Quelques jours avant, les élections grecques de 2015, comme pour montrer sa bonne volonté elle avait annoncé qu’elle poursuivrait ces rachats de façon massive : 60 milliards d’euros mensuels, pour une opération de18 mois , soit plus de 1000 milliards d’euros . En revanche, l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), interdit à la BCE de venir au secours des Etats en leur achetant directement des bons de trésor lors de leurs opérations d’émission sur le marché primaire .
UN PIETRE RESULTAT …
Au total, toutes ces mesures , y compris les rachats de titres souverains ont été conçues pour soulager les banques . Sauvées une première fois par les autorités publiques lors de la crise des sub-prime en 2008, ces dernières se sont gorgées d’obligations émises par les Etats dont elles avaient indirectement dévasté les finances . Elles ont été sauvées une deuxième fois quand la BCE avait racheté ces mêmes titres souverains . Pourtant , le financement de l’économie par les banques reste en panne. Elles l’observent la BCE, le taux de variation annuel de leurs prêts au secteur privé est négatif : -2% fin 2013, après -2% fin 2012 . A l’aune de ce piètre résultat , peut-être , il vaudrait mieux que la BCE prête directement aux Etats ( et ceux-ci fassent de la relance budgétaire ) plutôt que de consacrer tous ses soins aux banque . Par ailleurs, il est de bon aloi de rappeler que Monsieur Mario Draghi, gouverneur de la BCE est un ancien de Goldman Sachs . Ce qui l’intéresse c’est les banques , l’économie doit se débrouiller avec les moyens de bord . Quant aux Etats, laminés ne peuvent plus assurer leurs tâches régaliennes sans aller pleurnicher chez les banquiers qu’ils avaient sauvé de la faillite en 2008 .
Les largesses de la BCE envers les banques ont eu des résultats notables : elles ont fait exploser son bilan . Celui-ci est passé de 12,5% du BIB de la zone euro , au début de 2007 à plus de 30% en 2012 ! Depuis lors, il a reflué , mais il va de nouveau enfler , sous l’effet de la poursuite des mesures non conventionnelles, comme le plan annoncé en janvier 2015 .
Une analyse de l’OCDE , dans ses dernières perspectives : » en novembre 2014, le président de la BCE indiquait que ces mesures devaient permettre une augmentation de ses actifs , qui passeraient de 2000 milliards d’euros actuellement ,soit 30% de la zone euro .En conséquence , les actifs de la BCE mesurés en proportion du PIB seraient plus importants que le sont aujourd’hui ceux de la Banque centrale des Etats-Unis et de son homologue britannique ( qui représentent environ 25% du PIB) « .L’ampleur de la perfusion monétaire est telle qu’il sera difficile de revenir un jour , peut-être, à la normale .
L’AMPLEUR DES INCERTITUDES DE L’APRES-CRISE
L’ampleur des interventions de la Banque centrale européenne (BCE) en temps de crise amène à s’interroger sur la politique monétaire en temps normal. En fixant les taux directeurs, les banques centrales influencent le loyer de l’argent pratiqué par les banques commerciales . En revanche, depuis le grand tournant libéral des années huitante. Elles n’essayent plus de peser sur l’utilisation sectorielle du crédit , au motif que les marchés sont efficients et qu’ils sont les mieux placés pour décider si les financements doivent être orientés, par exemple, vers l’immobilier ou l’énergie .
Ces pratiques monétaires reposant exclusivement sur le maniement des taux d’intérêt , n’ont pas empêché la formation de bulles spéculatives (immobilières notamment ) et des débâcles qui ont suivi. Pour réguler les liquidités avant que n’apparaissent les problèmes, peut-être faudra-t-il renouer en Occident avec les politiques , depuis longtemps abandonnées , d’encadrement du crédit . En Chine, quand les autorités monétaires voient que le crédit dérape en direction d’un secteur donné, elles imposent à leurs banques des réserves obligatoires plus importantes spécifiques au prêts dans ce domaine (…)
EMPÊCHER LES BULLES DE CREDITS EN RENDANT LA SPECULATION PLUS CHÈRE !
En effet, avant la crise des sub-primes, les superviseurs considéraient que les conditions nécessaires sont suffisantes pour avoir un système financier sable si chaque banque , prise individuellement soit en bonne santé , que chacune ait mis assez d’argent de côté afin de pouvoir faire face à d’éventuelles difficultés , ce que les spécialistes de la finance appellent « contrôle micro-prudentiel « .
Ce genre de supervision cherche, en premier lieu, à s’assurer qu’aucun client ne sera pas surpris par la faillite de sa banque .Ce dogme repose sur l’idée que les problèmes que peuvent rencontrer les établissements financiers viennent surtout, soit d’une mauvaise gestion interne , soit d’évènements extérieurs généraux (ralentissement de la croissance, empêchant les emprunteurs de rembourser leurs prêts , une poussée d’inflation secouant les marchés financiers ou bien un retournement du marché immobilier ou de la bourse qui dérape etc…) ; mais que les relations entre les acteurs financiers ne représentent un enjeu crucial du moment que chaque banque est bien gérée. Afin d’empêcher la nouvelle formation de bulles de crédits , le G20 ayant d’abord souhaité renforcer cette approche micro-prudentielle grâce à plusieurs types de mesures .
La première concerne le minimum de capital que les banques doivent détenir pour pouvoir développer leurs actifs ( activités de prêts et de placement sur les marchés de financement ) .
Avant la crise , les banques devaient respecter un ratio capital sur les actifs( les actifs sont pondérés en fonction du risque qu’ils représentent (, de 8% . Une mesure mise en œuvre depuis 1988 et qui se décomposait en deux : un ratio, dit Tier 1 de 4% et un second guichet (Tier 2)correspondant à ce que chaque régulateur national qui avait été accepté en 1988, d’inclure dans la définition du capital pour aider les banques à respecter ces nouvelles contraintes ( les banques japonaises , par exemple, avaient fait valider dans le Tier 2, leurs plus-values boursières latentes , ce qui fait , qu’au moment de l’éclatement de la bulle, quelques années plus tard, elles sont passées brutalement en dessous du seuil réglementaires .
Et pour compliquer les choses et d’éliminer les coûts de ces contraintes – le Tier 1 avait été décomposé lui aussi en deux : » un Core 1Tier » avec le capital reçu des investisseurs (les actions et profits réinvestis) et une autre partie où les banques , en particulier françaises avaient glissé des titres hybrides ,mi emprunt, mi obligataire , assurant aux investisseurs une rémunération indexée sur les profits dégagés par la banque .
Par ailleurs, après la crise des sub-primes , le Comité de Bâle, sur le contrôle bancaire , situé à la BRI, avait décidé en septembre 2010, de le passer de 2 à 7% :4,5% de base auxquels s’ajoute une sécurité supplémentaire de 2,5% dans laquelle les banques devront puiser, en cas de souci , mais si cela se produit , elles seront contraintes dans la distribution de bonus et dividendes . Plus largement, le Comité de Bâle restreint la liste de ce qui est considéré comme du capital , limitant le poids des instruments hybrides, évoqués plus haut .
Le Comité a également discuté de la possibilité d’ajouter de 0 à 2,5% de capital en plus, quand le crédit s’emballe pour nourrir la spéculation . Mais faute d’accord, l’opportunité en est laissée à chaque régulateur national . Comme cela diminuerait la compétitivité des champions nationaux vis-à-vis des banques qui n’auraient pas à appliquer cette contrainte supplémentaire, on peut légitimement douter qu’elle sera mise en œuvre de manière unilatérale .
TOO BIG TOO FAIL , OU TOO INTERCONNECTED TOO FAIL (…)
Face aux risques systémiques des établissements , le Comité souhaite imposer des contraintes supplémentaires en capital pour que les banques systémiques , celles dont les problèmes locaux peuvent engendrer une crise généralisée . Cela concerne une trentaine d’établissements importants qui seront répartis en différents groupes en fonction de leur taille, du degré de mondialisation de leurs activités , de leur complexité de la possibilité ou pas de vendre une partie de leur business à des concurrents en cas de besoin .
Un débat est né autour de cette notion de surcharge. Désigner des banques comme « Too big to fail « trop importantes pour faire faillite , ou « too interconnected to fail « , trop imbriquées dans les réseaux des d’échanges financiers pour qu’on les laisse disparaître , ne revient-il pas à dire que les pouvoirs publics ne laisseront jamais tomber quoi qu’elles fassent , ce qui représente pour elles une incitation à prendre des risques inconsidérées ?
En effet, qui peut croire , après la panique qui avait suivi la faillite de Lehman Brothers , qu’à l’avenir les autorités publiques abandonneront à leur sort ce genre d’établissement ?Il est évident que les institutions systémiques seront sauvées . Alors, autant leur faire payer d’avance et leur faire comprendre , avec d’autres mesures , faire payer les banques . Quelles devront prendre en charge le coût d’un éventuel sauvetage public .
Les nouvelles règles devront être progressivement appliquées par les banques entre 2013 et 2018, pour être complètement appliquées et opérationnelles , le 1er janvier 2019 . L’échéance paraît lointaine , mais la pression de la concurrence fera que les établissements qui y parviendrons avant les autres seront mieux cotés par les marchés .
Afin d’éviter les blocages, le Comité de Bâle avait discuté de l’encadrement de la liquidité des banques , à court terme et à long terme . De quoi s’agit-il ? À court terme, chaque banque devra disposer de quoi tenir seule au moins un mois le cas où le marché interbancaire s’enrayait , comme cela été le cas au moment de la crise grecque en Europe , ou se bloque complètement , comme après la chute de Lehman . Concrètement cela signifie que les banques devront détenir plus de cash , de réserves sur le compte dont elles disposent auprès de la banque centrale et de bons de trésor émis par des grands Etats , qui rapportent peu , car ils sont considérés sans risque, pour faire face à leurs besoins de liquidités à court terme .
CONCLUSION
Selon toute vraisemblance, la spéculation financière semble s’inscrire dans les gènes de l’espèce humaine fortunée , ses effets peuvent être plus au moins violents . Quant à la crise de sub-primes de 2008, déclarée aux Etats-Unis, s’est propagée en Europe , déclenchant ainsi , celle des dettes publiques qui ruina les économies faibles de la zone euro . Une catastrophe économique dont certains pays fragile comme, l’Irlande, la Grèce, le Portugal et l’Espagne, ainsi que les petits nouveaux de la zone euro restent à surveiller de près .
Selon les dires de Ben Bernake, ancien patron de la Banque centrale des Etats-Unis, ayant beaucoup travaillé sur la crise de 1929, lorsqu’il était universitaire « en tant que chercheur sur la grande dépression, je crois sincèrement que le mois de septembre et octobre 2008 furent les témoins de la pire crise financière de l’histoire mondiale « .
En effet, des treize plus grands établissements financiers des Etats-Unis , douze se sont retrouvés au bord de la faillite en une semaine ou deux !
Par ailleurs, lorsque les tuyaux de la finance mondiale sont propres, ils sont capables de supporter la pression : une finance mondiale bien surveillée , réglementée , peut faire circuler des masses d’épargne plus au moins importantes sans provoquer de dérapages pour autant .
Les crises financières sont endogènes aux fonctionnement des marchés financiers pour qu’elles se développent par des mécanismes économiques et politiques d’autant plus à même de faire dérailler la machine que les autorités politiques , qu’elles soient publiques ou privées , ne font pas leur travail de surveillance et contrôle des risques . A contrario, quel que soient la complexité de la finance et les manquements des acteurs privés, ou publics, peuvent toujours agir s’ils souhaitent et le veulent …
Les déclarations publiques des grands banquiers de la planète, début 2011, affirmant , à l’image de l’ancien patron de Barclays que « il y a eu cette période de remords pour les banques , mais je pense que cette période est terminée « . Soulignant , encore une fois, combien les financiers sont incapables d’autodiscipline . Un état d’esprit immédiatement traduit en actes avec l’attribution , dès 2011 de rémunérations indécentes . Un comportement qui illustre bien le propos de Galbraith …
Les régulateurs publics peuvent contrôler la finance, mais le voudraient-ils vraiment ? Le pourront-ils ? Rien n’est moins sûr !
*Opérations principales de financement –OPR-Prêts à court terme de la BCE aux banques commerciales .
**Marché secondaires : le marché secondaire sur lequel les titres sont émis par le marché primaire .
REFERENCES
- Christan CHAVAGNAUX : Une brève histoire des crises financières -Edition LA DECOUVERTE -75013- Paris – France
« Des Tulipes aux sub-primes «
- ALTERNATIVES ECONOMIQUE : L’ETAT DE L’ECONOMIE 2015 – HORS-SERIE No 10
- YANIS VAROUFAKIS : « UN AUTRE MONDE EST POSSIBLE « ; Edition Flammarion 2015 ; Pour la traduction française S. Pakis & Yanis Varoufakis – Athènes -2013 ;
Voir notre éditorial « RACHAT DE LA DETTE » - Paru sur notre site www.dr-ben-abdallah.ch , le 05/02/15 ;
Voir notre éditorial « Dette souveraine » - Paru sur notre site www.dr-ben-abdallah.ch , le 10/09/11 ;
DR BEN ABDALLAH MOHAMED ;
DR OF BUSINESS ADMINISTRATION ;
SPECIALISTE EN MACRO-ECONOMIE DU MAGHREB ;
AUTEUR DE « L’INTEGRATION ECONOMIQUE DU MAGHREB ENTRE LE POSSIBLE
& LE REALISABLE « ; EN LIGNE EN FORMAT PDF SUR NOTRE SITE
Depuis le 1er mars 2009
&
EDITORIALISTE-REDACTEUR EN CHEF
DU SITE www.dr-ben-abdallah.ch
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03/12 /2015